Empreintes de pas sur le sable. Contours plus ou moins nets d’une marche sur la plage, la veille ou l’avant-veille. Traces vite recouvertes par une nouvelle vague, ou balayées par le vent.
Empreintes fossilisées dans la pierre. Traces incroyablement détaillées, laissées à travers les âges. Lecture au présent d’un passé révolu pourtant rendu palpable.
Nos empreintes émotionnelles sont à cette image : plus ou moins nettes, parfois rendues invisibles par les ‘couches de vie’ qui se sont succédées dans notre existence, souvent très anciennes mais incroyablement précises dans les détails observables de nos comportements et de nos croyances. Ce sont des traces de pas invisibles dans lesquelles nous ne cessons de revenir poser nos pieds, inconscients des chemins répétitifs que nous empruntons.
Ces empreintes émotionnelles inconscientes sont différentes pour chacun ; elles sont, entre autres, le fruit du vécu de notre mère, de nos parents pendant notre vie intra-utérine : un vécu unique parce qu’il n’avait jamais existé avant dans le monde, et n’a jamais plus existé depuis ; mais aussi un vécu correspondant à une réalité que nous n’avons pas pu saisir ‘à temps’ : personne n’est venu nous murmurer, in utero, ce que vivait notre mère, ce que pensait notre père.
Je vous laisse faire seules et seuls le lien de sens avec les articles de la rubrique « Parle à ton bébé » , tant il est fondamental que les mères prennent conscience de leur puissance à informer leurs tout-petits de ce qu’elles vivent pendant leur grossesse.
Ce court témoignage est donc une illustration parmi d’autres.
En préambule, je tiens à mentionner le fait que ce récit tiré de ma pratique en cabinet est réduit au seul fil conducteur du sujet que je souhaite exposer : l’impact de nos empreintes émotionnelles de vie prénatale, de naissance et d’enfance sur nos vies adultes. Ce seul récit n’est pas une trame de séances, ce ne sont que des extraits, exacts bien qu’anonymés, et mis en forme pour servir cet objectif.
C’est l’histoire de Nathalie, une femme de 68 ans qui a réalisé sa carrière auprès des nouveaux-nés prématurés ; un métier qu’elle a exercé à la fois dans la nécessité ressentie de parler à ces bébés vulnérables au tout début de leur vie, et dans la souffrance de leur prodiguer des soins invasifs bien que salvateurs. Elle exprime le souhait d’éclairer et d’apaiser un manque d’élan et d’envie de vivre, une angoisse de mort qui ont réapparues en force au moment de sa retraite.
Je n’exposerai donc là que les grandes lignes des circonstances de sa naissance et du contexte de sa gestation, bien que d’autres problématiques aient été abordées lors de nos entrevues.
Petite dernière de 5 enfants, née bien après ses frères et soeurs, Nathalie a été conçue alors que sa maman était atteinte d’un cancer. Une longue rémission de 9 mois durant la grossesse aura permis à cette maman-courage de mettre au monde son bébé à terme, et en bonne santé.
En hypnose, Nathalie retrouve à plusieurs reprises l’ambiance de sa vie intra-utérine : la solitude, un ‘grand vide noir’, la gorge qui se serre, l’envie de vomir et de pleurer, la peur tenace qui lui ‘tord le ventre’. L’impression que « quelque chose n’est pas bon, quelque chose l’empoisonne ».
Nathalie-adulte se charge alors de fournir à Natahlie-foetus des réalités factuelles : la maladie de sa maman pendant sa grossesse, les nausées et les vomissements liés à son obligation de traitement lourd pour enrayer la progression du cancer, une impossibilité à se projeter dans un avenir serein avec son bébé, une angoisse inimaginable pour ses trois premiers enfants, l’incertitude de pouvoir mener sa grossesse à terme. Une maman aux prises avec la vie et la mort.
Comment imaginer qu’un fœtus en cours de gestation puisse faire une quelconque différence entre les ressentis de sa mère et les siens ? Ce bébé ne ‘sait’ pas encore que « maman » est une personne à part entière, distincte de corps et d’esprit. Il faudra d’ailleurs bien longtemps après la naissance avant que cette réalité ne s’impose progressivement ! Avant cela, ce que vit et ressent bébé est rigoureusement identique à ce que vit et ressent maman : nausées, peur, angoisse de mort, solitude.
Décoder, rassurer, aimer encore et toujours, pour permettre à cette part d’elle-même totalement démunie de se saisir d’une vérité ignorée : elle n’est pas seule, elle va survivre, sa maman se bat comme une lionne pour lui donner la vie. En permettant à Nathalie-foetus de se protéger des ressentis médicamenteux liés aux traitements maternels, et de se relier à la puissance de vie de sa mère, cette part d’elle plus forte que la maladie et qui désire tant mettre cette petite fille au monde, le calme a commencé à poindre dans son monde intra-utérin. Les nausées se sont arrêtées, la peur a disparu.
On ne réalise pas combien la mémorisation prénatale est conditionnante des croyances du futur adulte, car on oublie que ce sont des empreintes purement émotionnelles et corporelles qui prennent chair dans un développement cellulaire en cours. Nathalie-foetus a cru, littéralement ‘de toutes ses cellules’ , que cette angoisse de mort la concernait, contractant une peur de vivre tenace, la conviction d’être ‘seule au monde’ : des paroles que Nathalie, 68 ans, a employé à répétition pour décrire des situations de vie multiples, sans avoir conscience qu’elle posait les mots de souffrance d’une toute-petite-Nathalie âgée de quelques semaines de gestation.
Ainsi apaisée, rassurée, protégée et informée, Natahlie-bébé s’est peu à peu tranquillisée, percevant autour d’elle « plus de lumière et de chaleur », intégrant de séance en séance la distinction entre les émotions et sentiments appartenant à sa mère et la réalité de son espace intra-utérin sécurisé, retissant également du lien avec sa maman, loin de sa croyance de culpabilité dans les nausées que cette dernière ressentait lors de ses traitements.
Lors d’une séance, Nathalie a également retrouvé les paroles d’une tante maternelle, entendues puis « oubliées » alors qu’elle avait 4 ans. « Elle n’aurait jamais dû faire cette enfant » … des mots gravés dans l’inconscient de cette fillette comme une condamnation. S’est enclenchée pour elle la certitude d’avoir causé la mort maternelle ; elle n’aurait jamais dû naître … « c’est ma faute » ; une empreinte de culpabilité bien trop lourde à porter dans la suite de son existence, faite de culpabilisation et de dévalorisation, de périodes de mutilations, d’un apaisement progressif mais jamais définitif, arraché à la force d’une volonté de fer. Comment s’autoriser à vivre, n’est-ce pas, à être heureuse, à recevoir d’autrui lorsque l’on s’est construite avec la certitude inconsciente d’avoir engendré la mort de sa mère ?
Comment une si jeune enfant aurait pu comprendre seule que sa tante était dévastée par la mort de sa jeune sœur, par l’inquiétude et l’impuissance de ne rien pouvoir changer au fait que sa nièce grandirait sans sa mère ?
Lors d’une autre séance d’hypnose, Nathalie-adulte est allée retrouver cette petite-Nathalie restée, là, coupable et enfermée dans sa bulle comme une « enfant-gigogne » en attente ; l’attente que la femme qu’elle deviendrait puisse venir la rechercher, la délivrer et l’aimer, lui transmettre les ressources qu’elle n’avait pas : la compréhension de cette réalité qui lui a échappé, le réconfort et la chaleur d’un amour sans faille, les mots à poser sur le drame qui s’est abattu sur sa famille. Non, elle n’y était pour rien dans la mort de sa maman. Elle avait été, bien au contraire, une force de vie pour elle.
On ne peut pas imaginer la puissance de telles retrouvailles, ni l’apaisement qui en résulte. Toutes nos parts émotionnelles restées cristallisées dans des vécus de souffrance, d’incompréhension et de manque de ressources, il nous revient en propre de les approcher, les apprivoiser, les réintégrer et leur apporter ce qui leur a manqué.
Pacifier nos empreintes émotionnelles les plus précoces est un voyage de réconciliation et de retrouvailles avec nos parts les plus jeunes et les plus blessées. C’est un beau voyage. A la fois bouleversant et apaisant.
Lors des escales de son voyage intérieur, Nathalie a aussi saisi combien ces empreintes avaient guidé son choix professionnel, combien parler la nuit aux nouveaux-nés prématurés auxquels il manquait un temps de vie intra-utérine, avait été un soulagement pour cette part d’elle-même.